Barcelone est sans doute aujourd’hui la seule ville européenne où l’Icarie
d’Étienne Cabet ait son avenue. C’est l’ultime trace de l’importance des liens
qui se tissèrent entre le premier homme politique français à avoir prôné le communisme
et la capitale de la Catalogne, alors le plus important centre industriel du
sud de l’Europe : certes Cabet avait, dans une brochure très diffusée, violemment
dénoncé le bombardement de Barcelone par le régent Espartero ; mais surtout il a
existé dans la ville un groupe de communistes icariens animé par Narcis Monturiol,
suffisamment important pour envoyer un représentant, le médecin Joan Rovira,
prendre part à l’expédition qui devait fonder l’Icarie aux États-Unis.
Ce groupe était lui-même né au sein du puissant mouvement républicain autochtone, dirigé
par l’infatigable Abdon Terradas, lequel avait, dès 1843, connu personnellement
Étienne Cabet et qui traduisit ensuite certaines de ses oeuvres.
Cet article se consacre à l’analyse des relations des républicanisme et communisme
catalans avec Cabet : il entend distinguer les éléments de leurs théories qui
provenaient de la lecture de Cabet, et ceux qui étaient issus d’autres traditions ou
de leurs trajectoires propres, tout en soulignant la religiosité commune à tous.
Ainsi, la politique des radicaux catalans des années 1838-1856 peut être rapportée non seulement au contexte espagnol et aux évidentes influences françaises, mais aussi aux débats européens sur la diversité des républicanismes, sur la révision libérale de l’héritage de la Révolution française et sur le caractère fortement religieux des premières
utopies socialistes. C’est pourquoi on analysera d’abord les relations, aussi bien personnelles qu’idéologiques, du républicanisme catalan avec Étienne Cabet, en pistant
les influences françaises, le jacobinisme et ses relectures ultérieures. La conversion
d’une poignée de républicains au communisme icarien sera ensuite étudiée, tout
comme leur active propagande en faveur du projet d’émigration aux États-Unis, au
nom d’une « révolution sociale » qui devait transformer entièrement la société alors
qu’elle laissait de côté les possibilités ouvertes dès ce moment par la puissance du
syndicalisme catalan. Enfin, l’étude de la dimension religieuse de ces deux courants
politiques permettra d’avancer que les Icariens catalans présentaient toutes les caractéristiques de ce que nous appelons aujourd’hui les nouveaux mouvements religieux.
Genís Barnosell, “Les admirateurs catalans d’Étienne Cabet : républicains et communistes à Barcelone, 1838-1856”, Le Mouvement Social, n° 251, 2015/2, p. 133-147
Plan de l’article
- Terradas, Cabet et la démocratie
- Les radicaux catalans et le communisme : objectif lointain ou réalité proche ’
- Dieu avec nous ’ Icarie aux États-Unis